L’enfant de la prochaine aurore, de Louise Erdrich

Il y a un truc bizarre, maman, s’il te plait… écoute-moi. J’ai l’impression, alors que je porte ce bébé vers la vie, qu’en réalité le monde ne régresse pas. Tout ce qui se produit, même le chaos le plus total, physique et personnel, même politique, ne pose en fait aucun problème. Je sais que cela peut paraître naïf. On pourrait même dire que c’est de la faute des hormones. Mais c’est un sentiment si fort qu’il faut que je le partage avec toi. Je suis heureuse. Il se passe des choses horribles tout autour de nous, c’est vrai, et j’ai commis l’acte le plus abominable qui soit, mais tout au fond de moi je suis heureuse. J’éprouve cette joie idiote. La conscience d’exister. Le plaisir de cette vérité absurde : nous sommes vivants. Nous n’avons rien demandé. Nous sommes vivants, voilà tout.

Où rien n’est plus puissant que l’amour d’une mère

Dans le sillage d’une apocalypse écologique qui menace l’équilibre de la vie sur terre, l’évolution des espèces s’est brusquement arrêtée. C’est dans ce contexte instable et inquiétant, alors qu’un gouvernement totalitaire a pris les rênes des États-Unis et impose aux femmes enceintes de se signaler auprès d’un centre dédié, que Cedar Hawk Songmaker, 26 ans, apprend qu’elle attend un bébé. Cette jeune Indienne, adoptée à la naissance par un couple de Blancs progressistes, décide alors d’aller rencontrer pour la première fois sa famille biologique, installée sur une réserve dans le nord du Minnesota, et comprend que les membres de l’« Église de la Nouvelle Constitution » désormais au pouvoir portent un intérêt tout particulier à l’enfant qu’elle porte.
Face à la désintégration de ce qui constituait le quotidien ordinaire des Américains, et déterminée à protéger coûte que coûte son bébé, elle se lance dans une fuite à travers le pays, sans savoir s’il existe encore un lieu sûr où se réfugier.

Dystopie ou fable philosophique, L’enfant de la prochaine aurore, est surtout une ode à la maternité, un souffle d’espoir, un cri d’amour, c’est en tout cas ce que j’ai ressenti en refermant ce livre hors du commun.

Je ne vous cache pas qu’il m’a fallu une centaine de pages pour apprivoiser la plume de Louise Erdrich, les débuts ont été laborieux, et pourtant… Il y avait tant de vérités dans les mots de l’auteur que j’ai persévéré. L’importance de nos racines. Qui sommes nous ? Pourquoi avons nous ce besoin de savoir d’où nous venons pour être entier ? Certes, certaines personnes le ressentiront de manière moindre, sur le moment, mais si la psycho généalogie existe, ce n’est pas pour rien. Saviez-vous que nous cherchons à corriger les « erreurs » de nos aïeuls, à combler, même inconsciemment, les « trous » de notre histoire ?

Plus que le corps des femmes pris en otage, qui n’est pas sans rappeler Margaret Atwood comme le précise l’éditeur, ou encore la description imparfaite de l’univers dans lequel l’héroïne évolue, c’est la vision du monde de Cedar qui m’a touchée. C’est sa façon de nous l’offrir dans ce voyage intime qu’elle relate pour son enfant à naître. C’est, pour ma part, ce qui fait la force de ce roman et rien d’autre. Parce qu’il ne faut pas se voiler la face, à la fin de la lecture, il demeure tout de même beaucoup de questions. Le monde en pleine mutation dans lequel évolue Cédar est à peine explicité, de même l’auteur ne nous livre aucune information sur le régime politique en place, comment il est arrivé au pouvoir, comment il a changé le monde (en dehors de la problématique des enfants à naître). Nous n’en n’apprendrons pas beaucoup plus sur les bouleversements climatiques, le père de l’enfant, la famille biologique de Cédar ou encore sa famille adoptive. Louise Erdrich nous livre des bribes d’informations sans aller au bout des choses, un choix assumé j’imagine pour nous plonger davantage dans l’esprit de son héroïne. Dans l’esprit de cette mère en devenir pour qui rien n’a plus d’importance que de donner la vie. Dans l’esprit de cette mère pour qui la foi est un pilier, sans doute le seul sur lequel elle peut complètement se reposer. Le seul qui ne l’ait jamais abandonné.

Alors oui, il y a des failles, oui il y a des éléments difficiles à comprendre, et pourtant ce roman transporte par la force des mots, par le style poétique de son auteur, par des passages dans lesquels, en tant que mère, j’ai pu m’identifier pleinement, par des touches mystiques aussi et enfin par les réflexions personnelles qu’il a fait naître. Un roman dont la fin m’a remuée tant certains aspects font écho à notre époque et surtout, surtout, je l’ai terminé avec une question : dans quel monde grandira mon fils ?

L’enfant de la prochaine aurore est un magnifique roman, troublant, poétique, dérangeant. Un roman qui n’est certes pas à mettre entre toutes les mains mais qui ravira les amoureux des beaux mots et les lecteurs engagés.

L’enfant de la prochaine aurore, de Louise Erdrich, publié le 06 janvier 2021 aux éditions Albin Michel.


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