Le dernier juif d’Europe de Joann Sfar.

On ne change pas de race et de sexe et de visage pour tourner le dos à ses obligations. Les gens font ça pour s’épanouir, pas pour se planquer.

Chronique d’une brillantissime satire fantastique

Paris aujourd’hui. Ionas, vampire, Rebecka, psychanalyste pour monstres, François, vétérinaire homosexuel. Ils sont tous juifs. Ils vont devoir s’unir pour lutter ensemble contre une montée d’antisémitisme sans pareille, et un pogrom géant dans le Marais.
Un texte sur la différence et la part du monstre en chacun de nous.
« Je ne me doutais pas que l’histoire de mon père me mènerait à faire équipe avec Ionas, un vampire centenaire et amoureux, Rebecka, sa copine psy divorcée d’un fantôme, et une rabbine. Mais quand c’est arrivé, j’ai trouvé ça normal. Presque.
Ces pages racontent aussi comment mon père a tenté de ne plus être juif, et comment, avec tout ce que l’on me mettait sur le dos, j’ai eu le sentiment d’être le dernier juif d’Europe. »

Si vous me suivez régulièrement, vous savez à quel point les sujets qui touchent à mes racines peuvent susciter chez moi de vives émotions. Récits sur les camps de la mort, fictions, romans évoquant l’antisémitisme, ces lectures m’émeuvent particulièrement. Pourtant, ce roman fait exception à la règle. Non pas que je n’ai pas été émue, au contraire, mais parce que Joann Sfar m’a touchée avec un humour d’une finesse et d’une intelligence rare.

Dans un échange de tweet, l’auteur m’a dit avoir uniquement cherché à transmettre son anxiété, et pourtant, ce roman est tellement plus.

Tout d’abord, n’y cherchez pas une trame de roman classique, vous ne la trouverez pas et vous risquez d’être déçus. Joann Sfar part un peu dans tous les sens et il est parfois difficile de s’y retrouver, mais ça n’a en rien gâché mon plaisir.

Dès les premières pages, je savais que Le dernier juif d’Europe et moi étions fait pour nous entendre. Remarques satiriques et humour sont au rendez-vous. Nombreux ont été les fous rires qui ont accompagnés ma lecture. Au travers d’une plume brillante et caustique, l’auteur, par le prisme de cette fable fantastique, met en image la bêtise de notre société, ses errances, son adoration des Dieux « chanteurs de variété en mal de reconnaissance » et personnalités portées par les petits esprits de la téléréalité. Bien sûr, il évoque aussi avec force l’antisémitisme. Cette haine qui se transmet de génération en génération au point de ne plus savoir quelle en est la cause. Mais il parle également de l’euthanasie, de l’homosexualité, de la transidentité. Il tacle la bien pensance intellectuelle de gauche, critique la politique et les politiques, donne son avis sur le mouvement des gilets jaunes ou encore l’écriture inclusive et ses ravages (oui, je n’adhère pas à cette volonté de genrer tous les aspects de notre vie).

L’identité. Un sujet qui m’est apparu au coeur de cette fable et c’est ce qui m’a d’ailleurs conduit au choix de l’extrait cité supra.

Sur l’antisémitisme en particulier, il décrit ce sentiment comme un monstre qui se nourrit de la haine, et j’avoue avoir particulièrement savouré le parallèle avec le comique à la quenelle (ceux qui savent, savent).

Au moyen de ce bestiaire sorti de son imaginaire, où les monstres se déguisent en black blocs pour passer inaperçus, Joann Sfar nous rappelle que les seuls monstres qui existent sur cette terre, c’est nous, citoyens de notre monde.

Que l’on adhère ou pas à son analyse, l’ensemble des sujets est magistralement mis en scène, avec finesse et intelligence.

C’est un roman à ne pas mettre entre toutes les mains. Pour le comprendre il faut un minimum d’ouverture et d’esprit critique. Il faut le lire avec une certaine hauteur et savoir savourer les effets de style et les images qu’utilisent Joann Sfar.

Comme vous vous en doutez, j’ai eu un vrai coup de coeur pour ce roman, non seulement sur les sujets de fond, mais également sur la forme.

Le dernier juif d’Europe est, pour ma part, un petit bijou de littérature.

Le dernier juif d’Europe, de Joann Sfar, paru le 26 février 2020 aux éditions Albin Michel.



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